Héritage culturel et conservatisme
J’ai essayé dans plusieurs de mes billets d’interroger la signification de la tradition dans la critique féministe. On reproche souvent au féminisme de refuser la tradition et la culture française en la taxant de sexisme, et de creuser par conséquent la fameuse brèche entre le passé et le futur théorisée par Hannah Arendt – bref, de créer des déshérités, selon l’expression de François-Xavier Bellamy, dès lors que l’on préfère faire lire à nos enfants Inès la piratesse plutôt que La Belle au bois dormant.
Notre système scolaire est voué à la déconstruction plutôt qu’à l’apprentissage. Mais ceux qui organisent cette école de la négation – qui dénonce la langue comme sexiste, accuse la lecture d’élitisme, morcelle l’histoire, bannit la mémoire, condamne les notes et adule le numérique – ont oublié ce qu’ils en avaient eux-mêmes appris. Le propre de cette génération, c’est une immense ingratitude, qui se complaît à déconstruire la culture dont elle a pourtant reçu toute sa liberté… (François-Xavier Bellamy, entretien avec Michel Onfray dans Le Figaro, 25 Mars 2015)
Pour dire deux mots d’Hannah Arendt je voudrais rappeler que son apologie d’une éducation « conservatrice » n’implique pas forcément (pour moi, au moins) une éducation réactionnaire: Hannah Arendt nous dit qu’il importe avant tout de transmettre le monde aux futures générations, qui en feront ce qu’elles voudront (ce sur quoi nous n’avons pas de prise). Cela implique nécessairement que nous sommes nous-mêmes les futures générations par rapport à la précédente, et que personne ne peut nous dicter un « testament », en fixant pour de bon le rapport que nous devons avoir à notre passé et notre héritage: un rapport conflictuel à l’héritage (enseigner des œuvres en explicitant leur idéologie sexiste par exemple) n’est pas une absence d’héritage.
La question de la langue (il ne parle donc pas ici spécifiquement de littérature mais des débats sur l’orthographe et la grammaire féministes) est un bon exemple de reconfiguration de l’héritage qui n’implique ni dénigrement ni refus de la culture. Il s’agit au contraire de comprendre ce que la langue a d’idéologique: comprendre comment le XVIIè siècle a fixé l’idée que «le masculin l’emporte sur le féminin» selon des critères non pas grammaticaux mais bien sociaux, par analogie avec la domination de l’homme sur la femme, ou comment les résistances aux réformes de l’orthographe à cette époque découlent d’une volonté de ne pas laisser «les femmes et les pauvres» lire et écrire. Aujourd’hui, les grammaires féministes ou queers ou les propositions de réforme orthographique entretiennent ainsi un rapport certes conflictuel et critique, mais vivant, à l’égard d’une tradition dont on oublie souvent la complexité.
Ceci posé, je souhaiterais me pencher sur un domaine un peu particulier où se pose cette question de la tradition: le domaine de la haute-couture et des différents métiers artisanaux qui l’entourent.