Dance battle: An American in Paris vs. Dirty Dancing

Régulièrement, des articles paraissent pour réaffirmer que Birth of a nation est un chef d’œuvre, en dépit de son idéologie raciste et pro-KKK. C’est finalement important de le dire, car, comme j’ai essayé de le montrer dans un précédent billet, OUI, il y a des chefs d’œuvre dont l’idéologie est absolument dégueulasse, il y a des grands films racistes, sexistes, colonialistes, etc. Il ne sert à rien de s’échiner à trouver une explication esthétique ou artistique à un choix scénaristique politiquement discutable (comme par exemple s’acharnent à le faire certains spécialistes d’Hergé). Richard Brody a écrit ainsi dans The New Yorker: « The worst thing about Birth of a nation is how good it is ». L’idéologie puante du film n’a pas de vertu esthétique en elle-même, elle est là, tout simplement…

Souvent, le sexisme se traduit dans un scénario par des stéréotypes réducteurs ou une absence de personnages féminins; dans ce cas, il est rare que le plaisir esthétique soit complètement gâché. Mais lorsque pour aimer un film, il faut entrer en sympathie avec un personnage – sous peine d’être totalement indifférent⋅e aux enjeux du récit – l’adhésion politique ou éthique aux actions du personnage joue un rôle clef dans le plaisir pris au film.

Je voudrais donner ici un exemple comparé de deux expériences cinématographiques qui montrent, au cas où il faudrait encore le prouver, qu’un chef d’œuvre sur le plan esthétique n’est pas un gage de finesse d’analyse dans les relations hommes/femmes, et que contrairement à ce qu’on prétend souvent, on peut trouver dans la culture populaire des récits parfos beaucoup plus fins sur les relations humaines, les relations de pouvoir, de classe, de genre, les relations familiales et les relations amoureuses.

Cette année, j’ai donc vu pour la première fois deux films de danse, Un Américain à Paris de Vincente Minelli (dont j’avais beaucoup aimé la comédie musicale Tous en scène, remarquablement filmée et mise en scène), et Dirty Dancing, que très étonnamment, je n’avais jamais regardé, et qui était dans ma tête un truc un peu fleur bleue pour adolescentes.

Ce sont deux films que j’ai vus par hasard alors qu’ils passaient à la télévision. En tombant sur Un Américain à Paris, je me suis dit « Oh chouette! je ne l’ai jamais vu », et je me suis vautrée dans le canapé à côté de mon copain en me disant que j’allais passer une bonne soirée à écouter du Gershwin – parce que Un Américain à Paris est un film construit à partir du ballet de Gershwin du même nom, auquel on a ajouté un scénario et où l’on a intégré des chansons composées par Gershwin – et à voir de la danse (j’aime la danse), le tout en plus, bien filmé parce que c’est Minelli.

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Un viol disparaît : zone grise et mère coupable

N.B. Ce billet est le produit d’une discussion initiée sur Twitter par Caroline Muller à propos du Don Giovanni de Mozart, et poursuivie avec Maxime Triquenaux. Nous avons décidé de transformer cette conversation en une série de trois billets, qui posent la question du traitement du viol dans nos disciplines respectives (histoire et littérature).

 

LE COMTE
En vérité, Suzon, j’ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c’est qu’elles n’étudient pas assez l’art de soutenir notre goût, de se renouveler à l’amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession par celui de la variété.
LA COMTESSE, piquée.
Donc elles doivent tout ?…
LE COMTE, riant.
Et l’homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ?

Le Mariage de Figaro est une pièce fabuleuse pour étudier le genre : abus de pouvoirs, chantage sexuel, relations abusives, généralisations constantes sur les hommes ou les femmes, naturalisation de la sexualité masculine, triomphe dramatique des personnages féminins… Tout cela est mis en scène par Beaumarchais, et les critiques font bien leur boulot en soulignant la place centrale des rapports de genre dans la pièce.

On lit moins en général (sauf quand on a le bonheur de l’avoir au programme d’agrégation) la pièce suivante, La Mère coupable, écrite en 1792, qui se déroule vingt ans après et met à nouveau en scène les personnages principaux du Mariage de Figaro : le Comte Almaviva, la Comtesse, Suzanne et Figaro.

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