« La surprise délicieuse des baisers volés » : 60 ans de cinéma romantique

Extrait du film Princess Bride : « Oh, no, no, please. They’re kissing again. Do we have to hear the kissing part? »

Dans Princess Bride, mais aussi dans les comédies romantiques, souvent, les personnages s’embrassent. Parfois, on voit surtout un personnage embrasser un autre personnage. Parfois même, on a l’impression qu’un personnage embrasse un autre personnage qui n’avait rien demandé, et qui n’est pas consentant. C’est à cette catégorie que j’aimerais consacrer un billet.

Avec un peu d’aide de twittas dévouées (merci à Hélène B. et Caroline D. pour leurs exemples), j’ai rassemblé un petit corpus de 13 films ou séries, dans lesquels une relation romantique qui est un élément majeur de l’intrigue se traduit par un baiser non-consenti. La plupart des exemples sont des comédies romantiques, avec quelques exceptions (les deux séries, ainsi que Romeo and Juliet puisque c’est… une tragédie).

Il n’est pas très difficile de trouver des analyses sur la question du consentement au cinéma (j’en mettrais quelques unes en référence à la fin de ce billet). J’ai choisi ici d’étudier un geste précis qui est nécessairement associé dans notre culture à une relation érotique et/ou amoureuse, mais sans être fortement sexualisé (s’embrasser en public ne sera en général pas considéré comme inconvenant).

De surcroît, j’ai pris mes exemples dans des œuvres dont l’esthétique ne passe pas par une profonde mise en cause de la morale, de la valeur positive de l’amour, ou par un rapport a priori problématique aux personnages. Pour le dire autrement, ce sont des films où les bons sentiments sont valorisés, où les personnages sont proches du public visé et où l’environnement fictionnel est assez ordinaire (là encore avec des exceptions). Nous sommes donc censé⋅es adhérer assez facilement à ce qui nous est montré. Cela veut dire que l’excuse de la suspension du jugement moral dans l’Art, en gros, ne va pas fonctionner. Ce sont aussi des films tous publics, que vous avez pu voir quand vous étiez enfant ou adolescent⋅e, et qui visent un public au moins mixte, sinon plutôt féminin.

Je vais commencer par présenter tous ces exemples ; j’essaierai ensuite de mettre en évidence quelques tendances qui caractérisent la « scène de baiser volé » dans le cinéma romantique.

[avertissement : agressions sexuelles, images d’agressions sexuelles fictionnelles]

Lire la suite

100 films à voir AVANT de devenir féministe

Bien sûr, si vous arrivez sur ce blog, le mal est sûrement déjà fait. Comme moi, vous avez avalé la pilule, et non seulement vous ne regardez plus le monde de la même façon, mais vous ne regardez plus non plus les films de la même façon.

Mais dans mon malheur j’ai eu de la chance : je suis devenue féministe assez tard pour avoir le temps de regarder beaucoup de films. Il faut dire qu’au lycée et en prépa, regarder un bon film pour ma « culture générale » était ma méthode préférée pour procrastiner sans culpabiliser. Après j’ai découvert Twitter (à peu près au moment où je suis devenue féministe – il y a un lien) et j’ai trouvé d’autres façons de procrastiner. Entre-temps je me suis fait une honorable culture de cinéma classique, composée d’excellents films que j’évite désormais de revoir.

Si vous êtes là et que vous n’êtes pas féministe, quelques conseils. 1) Devenez féministe, non mais ! 2) Débrouillez-vous pour regarder en urgence tous ces films si vous voulez avoir la chance de les apprécier un jour.

Catégorie blockbusters

♣ James Bond

On se réveille un beau matin, on traîne sur des sites féministes, et on entend parler de « la scène de viol dans Goldfinger » . Et là, soudain, on se demande comment on a fait pour ne pas voir le problème à … 10 ou 12 ans. Goldfinger est probablement l’exemple le plus caractéristique de l’érotisation du non-consentement dans la série des James Bond, mais c’est une constante, dans les premiers films comme dans les plus récents (voir l’analyse de la scène de Spectre dans la vidéo sur Harrison Ford).

pussy galore

Lire la suite

Dance battle: An American in Paris vs. Dirty Dancing

Régulièrement, des articles paraissent pour réaffirmer que Birth of a nation est un chef d’œuvre, en dépit de son idéologie raciste et pro-KKK. C’est finalement important de le dire, car, comme j’ai essayé de le montrer dans un précédent billet, OUI, il y a des chefs d’œuvre dont l’idéologie est absolument dégueulasse, il y a des grands films racistes, sexistes, colonialistes, etc. Il ne sert à rien de s’échiner à trouver une explication esthétique ou artistique à un choix scénaristique politiquement discutable (comme par exemple s’acharnent à le faire certains spécialistes d’Hergé). Richard Brody a écrit ainsi dans The New Yorker: « The worst thing about Birth of a nation is how good it is ». L’idéologie puante du film n’a pas de vertu esthétique en elle-même, elle est là, tout simplement…

Souvent, le sexisme se traduit dans un scénario par des stéréotypes réducteurs ou une absence de personnages féminins; dans ce cas, il est rare que le plaisir esthétique soit complètement gâché. Mais lorsque pour aimer un film, il faut entrer en sympathie avec un personnage – sous peine d’être totalement indifférent⋅e aux enjeux du récit – l’adhésion politique ou éthique aux actions du personnage joue un rôle clef dans le plaisir pris au film.

Je voudrais donner ici un exemple comparé de deux expériences cinématographiques qui montrent, au cas où il faudrait encore le prouver, qu’un chef d’œuvre sur le plan esthétique n’est pas un gage de finesse d’analyse dans les relations hommes/femmes, et que contrairement à ce qu’on prétend souvent, on peut trouver dans la culture populaire des récits parfos beaucoup plus fins sur les relations humaines, les relations de pouvoir, de classe, de genre, les relations familiales et les relations amoureuses.

Cette année, j’ai donc vu pour la première fois deux films de danse, Un Américain à Paris de Vincente Minelli (dont j’avais beaucoup aimé la comédie musicale Tous en scène, remarquablement filmée et mise en scène), et Dirty Dancing, que très étonnamment, je n’avais jamais regardé, et qui était dans ma tête un truc un peu fleur bleue pour adolescentes.

Ce sont deux films que j’ai vus par hasard alors qu’ils passaient à la télévision. En tombant sur Un Américain à Paris, je me suis dit « Oh chouette! je ne l’ai jamais vu », et je me suis vautrée dans le canapé à côté de mon copain en me disant que j’allais passer une bonne soirée à écouter du Gershwin – parce que Un Américain à Paris est un film construit à partir du ballet de Gershwin du même nom, auquel on a ajouté un scénario et où l’on a intégré des chansons composées par Gershwin – et à voir de la danse (j’aime la danse), le tout en plus, bien filmé parce que c’est Minelli.

016-an-american-in-paris-theredlist

« Anatomy of a murder »: le procès du viol

prxcvbu

Pas de livre aujourd’hui, mais un très très grand film d’Otto Preminger dont j’avais envie de parler depuis un moment: Anatomy of a murder, ou en français, Autopsie d’un meurtre. Avant de préciser pourquoi ce film m’a particulièrement frappée et intéressée en tant que féministe, je voudrais donner quelques très bonnes raisons de se précipiter pour le voir (légalement, illégalement, c’est un classique, vous le trouverez):

1. Il y a James Stewart, qui est l’un des plus grands acteurs américains de sa génération (celle de Mitchum ou de Cary Grant). ET c’est un de ses meilleurs rôles, et de ses meilleurs films, avec Sueurs Froides, Fenêtre sur cour, The shop around the corner, La vie est belle et pas mal d’autres en fait.

 

2. C’est Duke Ellington à la musique, donc on ne fait pas la fine bouche et on regarde.

3. Je n’ai pas encore vu de meilleur film de procès, même si Douze hommes en colère est au même niveau. Le film est même utilisé en cours de droit (lé-gi-ti-mi-té).

4. Voir ce film vous donnera envie de vous plonger dans la filmographie d’Otto Preminger, et Laura étant une merveille, ce serait dommage de s’en priver.

laura

5. Parce qu’Otto Preminger, comme toujours, adapte des romans chouettes mais sans plus, et peut partir d’intrigues complètement stéréotypées et attendues pour faire quelque chose de poignant, d’inquiétant et de fascinant (regardez Angel face en particulier). Comme beaucoup de réalisateurs de cette époque, aucun complexe à faire à 200% un film de genre (ici, un film de procès, le film noir étant assez dominant dans sa filmographie), tout en proposant quelque chose de très intéressant et d’original.

Être la bienvenue dans une oeuvre

Si vous faites des études de lettres, ou même avez l’occasion d’avoir des lectures imposées, vous savez que pour beaucoup de bouquins, on referme le livre avec l’impression d’avoir lu quelque chose de très bien écrit, de brillant, d’important dans l’histoire littéraire, etc. mais… Et puis il y a ces moments où la lecture apporte quelque chose de plus, où la lecture prend plus de sens, d’émotion, où elle acquiert une portée plus personnelle.

reading

Fun Home, Alison Bechdel

Je pense personnellement que cette réaction de lecture est pour moi, au moins en partie, liée au genre: à force de lire d’excellents livres écrits par des hommes qui y parlent d’hommes qui parlent de choses et d’autres et notamment des femmes à partir de leur point de vue d’hommes, même quand ces livres sont géniaux, magnifiques, émouvants, subversifs, tout ce qu’on veut, on a envie d’autre chose, on cherche le livre que l’on n’a pas encore trouvé, celui où la femme n’est pas seulement un acteur secondaire qui marque l’itinéraire initiatique du héros, où la femme n’est pas seulement une muse ou une tentatrice, celui où soudain nous nous mettons à penser avec une femme qui regarde le monde autour d’elle; une œuvre qui dérègle la définition calamiteuse du cinéma par François Truffaut:

Le cinéma est un art de la femme, c’est-à-dire de l’actrice.

Le travail du metteur en scène consiste à faire faire de jolies choses à de jolies femmes, et, pour moi, les grands moments du cinéma sont la coïncidence entre les dons d’un metteur en scène et ceux d’une comédienne dirigée par lui.

Lire la suite