« La surprise délicieuse des baisers volés » : 60 ans de cinéma romantique

Extrait du film Princess Bride : « Oh, no, no, please. They’re kissing again. Do we have to hear the kissing part? »

Dans Princess Bride, mais aussi dans les comédies romantiques, souvent, les personnages s’embrassent. Parfois, on voit surtout un personnage embrasser un autre personnage. Parfois même, on a l’impression qu’un personnage embrasse un autre personnage qui n’avait rien demandé, et qui n’est pas consentant. C’est à cette catégorie que j’aimerais consacrer un billet.

Avec un peu d’aide de twittas dévouées (merci à Hélène B. et Caroline D. pour leurs exemples), j’ai rassemblé un petit corpus de 13 films ou séries, dans lesquels une relation romantique qui est un élément majeur de l’intrigue se traduit par un baiser non-consenti. La plupart des exemples sont des comédies romantiques, avec quelques exceptions (les deux séries, ainsi que Romeo and Juliet puisque c’est… une tragédie).

Il n’est pas très difficile de trouver des analyses sur la question du consentement au cinéma (j’en mettrais quelques unes en référence à la fin de ce billet). J’ai choisi ici d’étudier un geste précis qui est nécessairement associé dans notre culture à une relation érotique et/ou amoureuse, mais sans être fortement sexualisé (s’embrasser en public ne sera en général pas considéré comme inconvenant).

De surcroît, j’ai pris mes exemples dans des œuvres dont l’esthétique ne passe pas par une profonde mise en cause de la morale, de la valeur positive de l’amour, ou par un rapport a priori problématique aux personnages. Pour le dire autrement, ce sont des films où les bons sentiments sont valorisés, où les personnages sont proches du public visé et où l’environnement fictionnel est assez ordinaire (là encore avec des exceptions). Nous sommes donc censé⋅es adhérer assez facilement à ce qui nous est montré. Cela veut dire que l’excuse de la suspension du jugement moral dans l’Art, en gros, ne va pas fonctionner. Ce sont aussi des films tous publics, que vous avez pu voir quand vous étiez enfant ou adolescent⋅e, et qui visent un public au moins mixte, sinon plutôt féminin.

Je vais commencer par présenter tous ces exemples ; j’essaierai ensuite de mettre en évidence quelques tendances qui caractérisent la « scène de baiser volé » dans le cinéma romantique.

[avertissement : agressions sexuelles, images d’agressions sexuelles fictionnelles]

Années 50

Pour simplifier la lecture, j’ai mis un extrait de chaque scène sous forme de gif, mais je vous conseille de regarder ensuite la vidéo en lien, notamment pour voir le rôle joué par la musique dans chacune de ces scènes.

∇ Billy Wilder, Some like it hot, 1959.

Dans cette scène Some like it hot, Joe (Tony Curtis), déguisé en Josephine, et qui sortait avec Sugar (Marilyn Monroe) en prétendant être un riche propriétaire de multinationale pétrolière, vient de rompre avec elle la mort dans l’âme. Déguisé en Josephine, il va quitter l’hôtel mais entend soudain Sugar chanter « I’m through with love » complètement abattue. Il s’approche alors d’elle sans qu’elle le voit et l’embrasse par surprise, révélant sa double identité.

Sugar, à gauche, est épuisée et triste, la tête penchée et les yeux fermés, au milieu de l’orchestre. Joséphine, à droite, s’approche, lui relève la tête en tenant son menton et l’embrasse, alors que Sugar a toujours les yeux fermés (Some like it hot)

C’est une très belle scène, extrêmement émouvante (enfin je trouve) et la réplique suivante est probablement une de mes préférées. Ce baiser non-consenti n’était absolument pas nécessaire : la scène reste tout à fait cohérente du point de vue comme scène de reconnaissance si on enlève ce baiser.

Joséphine essuie une larme sur le visage de Sugar en disant « None of that, Sugar. No guy is worth it. » (Some like it hot)

Années 60

∇ Robert Wise, The Sound of Music, 1965.

Rolf embrasse par surprise Liesl après avoir dansé avec elle. Les deux personnages sont amoureux et c’est leur premier baiser.

Rolf se tient face à Liesl, saisit soudainement ses bras pour la rapprocher de lui et colle ses lèvres contre les siennes. Les yeux de Liesl sont écarquillés, et elle reste bouche bée quand Rolf la relâche. (The Sound of Music)

Il s’agit d’une scène romantique, même si on comprendra par la suite que Rolf est nazi, ce qui entamera un peu son capital sympathie (en revanche, c’est dès sa première apparition un mansplainer paternaliste de première, mais je ne vais pas trop développer). Juste après ce baiser, Liesl fait un grand sourire de bonheur absolu en criant « wiiiiii ».

∇ Franco Zeffirelli, Romeo and Juliet, 1968 (2’40).

Romeo prend la main de Juliet qu’il embrasse ensuite, alors qu’elle est clairement paralysée par la surprise et ne peut pas réagir parce que la scène se déroule en public. Juliet semble finalement contente quand elle le voit, parce que Romeo est un beau jeune homme. Le dialogue qui suit leur permet d’ailleurs de s’embrasser de façon consentie. Ce choix de mise en scène n’a a priori rien de nécessaire compte-tenu du texte, et d’autres adaptations en film de la pièce de Shakespeare font des choix différents.

Années 70

∇ Blake Edwards, Darling Lili, 1970.

Dans cette scène, les deux personnages sont amoureux mais Lili (qui est en fait une espionne allemande, mais bref) est en pleine crise de jalousie, ce qui déclenche une dispute avec l’aviateur joué par Rock Hudson. La scène dans son ensemble est assez violente, mais elle est censée être plutôt comique. Ici, l’aviateur l’insulte en lui disant qu’elle est vierge, elle le gifle, puis il l’embrasse de force, ce qui met fin à la dispute.

Dans une douche, Lili donne une gifle à l’homme en face d’elle. Celui-ci la saisit brutalement par les épaules pour l’amener contre lui et l’embrasser. (Darling Lili)

Années 80

∇ James Ivory, A room with a view, 1985.

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Dans un champ, George s’approche à pas résolus de Lucy qui se bouge pas, étend sa main qu’il place derrière son dos rapidement, et saisit sa joue de l’autre main pour l’embrasser en l’inclinant légèrement vers l’arrière. Lucy ne réagit qu’au moment du baiser, de surprise, et ses épaules et ses mains se soulèvent vers l’endroit où George la tient. (A Room with a View)

Dans ce film adapté (très fidèlement sur ce point) du roman d’E.M. Forster, George Emerson embrasse par surprise Lucy Honeychurch dans un champ de coquelicots (comme c’est romantique) lors d’un voyage en Italie.

 

 

 

Celle-ci, lorsqu’elle rentre en Angleterre, se fiance avec Cecil Vyse, respectable, snob et ennuyeux à mourir. Par un concours de circonstance, George devient son voisin, et essaie de le convaincre de leur amour mutuel (qu’elle refuse de voir, aliénée qu’elle est par les conventions sociales) en l’embrassant à nouveau de force.

Tandis que Lucy s’éloigne vivement par l’escalier, George la retient en tirant son bras, la retourne en la maintenant renversée vers l’arrière et en tenant son cou pour l’embrasser. (A Room with a View)

Le personnage de Cecil Vyse, au contraire, est montré comme particulièrement peu viril, maladroit et ridicule, lorsqu’il demande explicitement à Lucy son consentement avant de l’embrasser (aussi parce qu’il y a son pince-nez qui tombe à ce moment-là)…

Evidemment, Lucy finira par prendre conscience que c’est George qu’elle aime passionnément.

∇ Woody Allen, Hannah and her sisters, 1986.

Elliott est le beau-frère de Lee, et tombe amoureux d’elle. Ils s’entendent bien et partagent un goût pour la poésie et la musique classique. Ici, alors qu’ils écoutent un disque, Elliott se jette sur elle et l’embrasse par surprise. La scène est à la fois burlesque (en bousculant Lee, Elliott fait passer le disque du mouvement lent au mouvement rapide du concerto) et romantique. Les deux personnages auront ensuite une liaison, qui est présentée globalement de façon positive même si elle n’est réellement satisfaisante pour aucun des deux et ne dure qu’un temps.

Dans un atelier de peintre, Bree s’approche un livre ouvert à la main en discutant d’un poème. Elliott arrive très brusquement dans le champ de la caméra sur la droite et saisit ses épaules en collant sa bouche contre la sienne. Les épaules de soulèvent par surprise tandis qu’elle tente de se dégager. (Hannah and her sisters)

Années 90

∇ Amy Heckerling, Clueless, 1995.

Dans ce film qui modernise l’intrigue d’Emma de Jane Austen (de façon assez réussie d’ailleurs, à mon avis), Cher dit à son « ex-demi-frère » Josh (ils n’ont pas de lien familial mais leurs parents respectifs ont été brièvement mariés) dont elle est tombée amoureuse qu’il compte pour lui (« I care about you ») sachant qu’elle rebondit sur la réplique de Josh qui dit que son ex-beau-père est le seul pour qui il compte. Ce n’est donc clairement pas une déclaration d’amour même si Cher est amoureuse de Josh. Pourtant, Josh profite du geste de Cher pour l’embrasser par surprise – avec une grande fluidité, pour voir si ça lui plaît ou pas. Et, ouf, ça lui plaît !

Cher est assise en face de Josh sur un escalier et le frappe légèrement avec son bras comme pour le taquiner en se rapprochant. Josh saisit son bras au passage et son cou pour l’embrasser dans le même mouvement. (Clueless)

∇ Roger Michell, Coup de foudre à Notting Hill, 1999.

Anna Scott, célèbre actrice américaine, embrasse par surprise William, timide libraire londonien, qu’elle a rencontré 1h avant dans un contexte non-romantique (il lui a renversé du jus d’orange sur t-shirt par accident si mes souvenirs sont bons).

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Anna dit au revoir à William, s’approche soudain de lui, met son bras derrière son cou et l’embrasse longuement. (Notting Hill)

Alors peut-être qu’il fallait trouver un moyen de justifier dans le scénario le fait qu’elle le revoie ensuite : elle l’invitera dans son hôtel pour s’excuser de l’avoir embrassé, mais William n’a pas l’air de lui en vouloir, au contraire. Et ils vont ensuite tomber amoureux.

Je me permets de spoiler parce que c’est une comédie romantique : à la fin, tout le monde est content, tous les couples présents à la conférence de presse d’Anna Scott s’embrassent, mais le copain-trader-pas-très-séduisant du groupe d’ami⋅es qui n’a pas de copine embrasse lui par surprise sa voisine journaliste sous le coup de l’émotion. Contrairement à la première scène, il s’agit ici d’un élément plus comique que romantique.

Années 2000

∇ David Frankel, The Devil Wears Prada, 2006.

Dans cette scène qui se passe la-nuit-à-Paris-devant-Notre-Dame, Christian Thompson embrasse par surprise Andy après leur rendez-vous, et continue de l’embrasser alors qu’elle dit qu’elle veut pas (0’50), sur une musique romantique. Ce personnage n’est que secondaire : Andy vient de rompre avec son copain Nate, elle est triste, un peu perdue, ici clairement ivre. Christian Thompson est présenté comme un personnage de séducteur qui reste assez séduisant malgré son narcissisme assumé, et la scène est présentée comme romantique (avant qu’Andy ne découvre un lourd secret dissimulé par Christian le lendemain matin dans sa chambre d’hôtel, qui confirmera que son premier copain moins séduisant à première vue était le bon) :

∇ Nancy Meyers, The Holiday, 2006.

Amanda vient d’arriver dans une petite maison anglaise qu’elle a échangé pour quelques semaines avec Iris. Arrive alors Gordon (Jude Law), le frère d’Iris, complètement ivre, qui ignorait que sa sœur était partie. Ils font connaissance et Gordon, avant de partie, dit bonne nuit à Amanda et l’embrasse par surprise brièvement. Amanda demande alors à Gordon de l’embrasser à nouveau (« Would you mind… trying that again »). Gordon fait alors cette tête :

Graham fait une tête très étonnée.

On ne saura pas s’il est surpris parce qu’il pensait qu’Amanda ne voulait pas de son baiser (auquel cas il aurait pu s’abstenir dès le départ) ou s’il ne comprend pas qu’elle lui demande poliment sa permission pour l’embrasser de manière consentie, avant de lui proposer tout aussi poliment du sexe. Les deux personnages vont finalement tomber amoureux, Gordon étant l’homme parfait qu’Amanda cherchait.

∇ Ken Kwapis, He’s Just Not That Into You, 2009.

Je ne vais pas pouvoir résumer le film parce que… je ne l’ai pas vu. Mais il s’agit d’une scène dans laquelle Gigi est en train d’expliquer à Alex, après qu’il lui a déclaré son amour, qu’elle ne veut finalement pas être avec lui (elle était initialement amoureuse de lui mais il n’était pas intéressé) parce qu’un autre homme est beaucoup mieux pour elle. Il la coupe alors au milieu de sa phrase et l’embrasse par surprise, ce qui la fait changer d’avis (?!).

Grey’s Anatomy, saison 5, épisode 2 et saison 5, épisode 8, 2008-2009.

Dans Grey’s anatomy, la relation (l’une des plus iconiques de la série) entre Owen Hunt et Cristina Yang débute par deux baisers non-consentis : le premier lorsqu’Owen vient de soigner Cristina (qui s’était pris un stalactique dans le ventre, c’est Grey’s anatomy), lors de sa première apparition dans la série ; le deuxième lorsqu’ils viennent de perdre un patient et qu’Owen s’énerve contre Cristina qui essaie de dire trois mots gentils, avant de l’embrasser par surprise (Owen a un STPT mais je pense qu’on peut dire avec certitude que cela n’a rien à voir avec le consentement). 

Années 2010

Dear White People, épisode 10, 2017.

Dans le dernier épisode de Dear White People, Lionel, jeune homme noir qui découvre son homosexualité dans la série, connaît enfin son moment de gloire de journaliste en publiant le scandale de l’année, que son rédacteur-en-chef George lui avait interdit de publier. George commence par engueuler Lionel, mais celui-ci lui fait enfin face en lui demandant de la fermer, ce qui d’une façon ou d’une autre suscite immédiatement des sentiments irrépressibles à son égard de la part de George, qui l’embrasse alors par surprise. Pourtant, il aurait tout à fait été possible de tourner exactement la même scène et le même retournement en insérant un « Can I kiss you ? » au milieu.

George saisit soudainement la tête de Lionel et le tire contre lui pour l’embrasser.

Mais pourquoi ???

On peut dégager plusieurs caractéristiques de ces « baisers volés » (qui constituent donc des agressions sexuelles, rappelons-le) dans ces exemples :

(1) Ce sont parfois des baisers courts pris par surprise, dont la fonction semble d’évaluer la façon dont la personne réagit, avant un baiser plus long et mutuel. Dans tous les cas cités, la personne qui est embrassée sans son consentement semble surprise, parfois choquée, mais finalement heureuse de ce qui se substitue à une déclaration.

(2) Plusieurs baisers succèdent à un geste non-sexualisé ou s’y substituent, de sortent qu’ils semblent assez naturels : un baiser sur la bouche au lieu d’une bise pour dire au revoir (The Holiday), un geste pour relever la tête abattue de Sugar dans Some like it hot, le geste affectueux de Cher dans Clueless, ou le mouvement d’Andy dans The Devil wears Prada qui la fait arriver tout naturellement sur la bouche de son date. Tous ces gestes non-sexualisés permettent de donner une apparence de tendresse au baiser non-consenti.

(3) Plusieurs baisers servent littéralement à couper la parole à la personne qui est en train de parler, y compris au milieu d’une dispute (He’s Just Not That Into YouDear White People). On retrouve ce fonctionnement dans une scène de The Illusionist par exemple (qui appartient à un genre un peu différent mais avec une intrigue romantique importante), où Eisenheim interrompt Sophie qui est au bord des larmes et qui lui a simplement dit qu’elle voulait l’aider (pas l’embrasser) :

(4) Enfin, les baisers très abruptes sont censés exprimer le désir particulièrement fort du personnage : l’impossibilité de verbaliser le désir d’un geste précis, l’absence de maîtrise et le fait de ne pas prendre en compte le refus deviennent un signe de la force de ce désir et de sa valeur supérieure.

Pourquoi peut-on dire que ces baisers non-consentis sont présentés de façon positive dans tous ces exemples ? Dans les genres romantiques, ces baisers non-consentis sont – logiquement – romantisés, parfois érotisés, et plus rarement un élément comique qui n’exclut pas les valeurs précédentes. La romantisation du non-consentement passe par différents éléments :

– Tout d’abord, la musique, qui est un indice essentiel (avec des ruptures de rythme, des accélérations et beaucoup d’éléments qui connotent l’accomplissement au moment du baiser).

– La fonction du personnage qui embrasse dans le schéma narratif ensuite : l’absence de non-consentement peut être présenté dans une même oeuvre de façon totalement différente. Ainsi dans Clueless, le personnage d’Elton embrasse également Cher par surprise, puis essaie à nouveau de l’embrasser à plusieurs reprises, mais est repoussé parce qu’elle ne l’aime pas. Le baiser non-consenti apparaît négativement, parce que le personnage n’est pas « le bon », c’est-à-dire celui avec lequel le personnage principal doit finir le film et/ou pour lequel il éprouve des sentiments. Bref, si nous voulons que les personnages aient une relation amoureuse, le non-consentement ne va pas nous sauter aux yeux.

– L’attitude du personnage agressé enfin, qui très souvent, après un moment d’arrêt ou de choc dû à la surprise (tu m’étonnes), sourit ou ressent un plaisir inattendu (y compris clairement sexuel, comme le gros plan sur le yeux qui se ferment de Juliet dans Romeo and Juliet).

Sur le plan idéologique, ces deux derniers éléments sont essentiels : cela renforce d’une part l’idée selon laquelle les femmes ne se plaignent des gestes ou comportements non-consentis que si l’homme ne leur plaît pas, ou s’il est moche, alors qu’elles sont contentes si une personne qui fait la même chose est un beau jeune homme ou quelqu’un pour lequel elles éprouvent des sentiments (Clueless, Romeo and Juliet). La seule solution pour arriver à quelque chose avec les femmes serait alors, logiquement, de tenter sa chance, sans quoi les hommes n’obtiennent jamais de relation amoureuse et/ou sexuelle.

Cela signifie d’autre part que bien souvent, le baiser non-consenti a pour fonction de permettre au personnage principal, en général une femme, de prendre conscience de son propre désir ou de son amour, par la révélation que constitue le baiser, y compris lorsqu’elle vient de refuser verbalement une relation amoureuse. Toutes ces scènes de baisers tirées de comédies romantiques qui nous semblent finalement assez innocentes sont à cet égard parfaitement analogues à des scènes beaucoup plus directement sexuelles qui confèrent au viol cette même fonction dans des genres érotiques ou pornographiques (de la littérature libertine aux films X). La principale différence est liée à la composante amoureuse et romantique par opposition à des genres fondés sur une composante prioritairement sexuelle. Le baiser, « point de départ » des scripts sexuels occidentaux contemporains, est précisément le geste qui cristallise l’expression amoureuse à travers un geste, mais qui est susceptible de recevoir des significations extrêmement variables.

Enfin, on peut plus largement s’interroger sur l’incapacité générale à analyser ces scènes de baisers non-consentis comme des scènes d’agression sexuelle, de la part des scénaristes, des réalisateurs⋅rices, des acteurs⋅rices, du public : pourquoi personne dans la chaîne des gens qui auraient pu faire en sorte qu’on écrive les choses autrement ne s’est manifesté ? Pourquoi les adultes n’en profitent pas pour faire un point « consentement » quand ils voient ces films avec des enfants (on peut commencer avec le baiser de Ratatouille) ou adolescent⋅es (ah ça pour parler des méfaits du porno sur les jeunes y’a du monde, mais quand on parle de vrais films très connus, y’a plus personne) ? J’ai vu The Holiday en cours d’anglais en 3è. L’enseignante avait justement commenté cette scène au passage, et je me souviens parfaitement de ses mots : 

« NEVER KISS A BOY YOU DON’T KNOW »

 

Pour aller plus loin :

– Julia R. Lippman, « I Did It Because I Never Stopped Loving You. The Effects of Media Portrayals of Persistent Pursuit on Beliefs About Stalking » (l’article n’est pas en accès libre, en revanche la thèse de l’autrice sur ce sujet l’est – je ne l’ai pas lue).

– « Stalking for love« , vidéo-essai sur le même sujet, sur la chaîne Pop Culture Detective.

– Sur ces mêmes mécanismes dans d’autres genres, toujours sur Pop Culture Detective, l’excellent vidéo-essai « Predatory romance in Harrison Ford Movies » (très clair et pédagogique).

2 réflexions sur “« La surprise délicieuse des baisers volés » : 60 ans de cinéma romantique

  1. Vervaine dit :

    Merci pour ces analyses fines et pertinentes. Je me rends compte de l’ampleur de la tache de la déconstruction… Nous faire croie qu’un baiser voler est romantique… j’étais à fond la-dedans ado/jeune fille !

    Je pense que tu peux rajouter à ta liste:
    -une scène de Star wars (on appelait ‘La guerre des étoiles’ à l’époque) Je crois que c’est dans le 4 ou le 5 (ou le 6 ?), entre Leïa et Han Solo. Il y a eu des articles à ce sujet il me semble.

    -et une scène dans un DA pour enfants « Ratatouille » où le jeune héros timide se dispute avec la fille de l’équipe, qui commence à sortir un spray de défense, mais finalement il l’embrasse et ah, tout va mieux ! 😉

    Et sûrement d’autres aussi, mais c’est ce qui me vient à l’esprit !

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