[Quelques précisions dans un nouveau billet en réponse à une partie de l’article « Enseigner avec civilité ? » d’H. Merlin-Kajman]
« Si nos élèves avaient l’occasion de réapprendre par cœur un peu de notre poésie française, lire des œuvres de Ronsard comment pourraient-ils encore maltraiter une jeune fille ? »
Je sais bien que ça va finir par ressembler à de l’acharnement, mais je voudrais profiter de mon année d’agrégation pour répondre à une proposition de François-Xavier Bellamy, adversaire des ABCD de l’égalité et défenseur de la transmission de la culture française, de remplacer l’éducation à l’égalité par la lecture des poèmes de Ronsard. Il faut dire que c’est quand même osé: la solution semble tellement évidente, d’une simplicité qui lui donne une aura d’idée géniale – la réponse était donc, là, sous nos yeux, dans cet héritage culturel que nous avons renoncé à transmettre à l’école?
Je simplifie bien sûr, la solution, ce n’est pas seulement Ronsard, c’est aussi raconter le procès de Jeanne d’Arc, les recherches de Marie Curie (parce qu’on vous a déjà parlé d’une autre femme scientifique à l’école à vous?), mais surtout, surtout lire de la poésie parce que toute la finesse des relations entre hommes et femmes dans la culture française se trouve là. L’idée revient tout le temps dans les ouvrages, conférences, interventions de François-Xavier Bellamy, mais je vous cite juste un extrait de son audition au Sénat, le 19 Mars 2015.
« Je suis convaincu que [lutter contre le sexisme] n’est ni superflu ni irréaliste et doit constituer une priorité, ayant eu l’occasion de constater dans de nombreux établissements, notamment situés dans des zones défavorisées, que le sexisme est une réalité. […]
Il suffit d’ailleurs de s’intéresser à certaines productions de ce que l’on appelle les « cultures urbaines » pour constater que l’image de la femme y est souvent dégradée, maltraitée. Dans notre espace public même, nous devons reconnaître qu’à travers la publicité, le sexisme et la dévalorisation de la femme sont souvent une réalité. […]
Si, par miracle, nos élèves avaient l’occasion de temps en temps de réapprendre par cœur un peu de notre poésie française, lire des œuvres de Ronsard, Verlaine, Musset, Chénier, comment pourraient-ils encore mal parler à une jeune fille ou la maltraiter ? »
Il s’agit ainsi de dessiner un schéma binaire, d’opposer aux « cultures urbaines » (je ne pense pas qu’elles entrent dans la définition qu’a François-Xavier Bellamy de la culture), celles des « zones défavorisées », mais aussi celles de la mondialisation libérale ou de la société de consommation, la publicité en premier lieu, citée ici (je ne crois pas que par « espace public », FX Bellamy essaie de faire de l’humour sur le comportement de certains sénateurs à qui il s’adresse, malheureusement), à une culture française ancrée dans une tradition millénaire (Jeanne d’Arc), où se trouverait l’élaboration d’un modèle de relation entre hommes et femmes fondé sur le respect et la différence.
Cassandre, Europe et Danaé: l’imaginaire du viol dans le sonnet 20 des Amours
C’est vrai qu’à première vue, je trouvais ça mignon Les Amours, les 19 premiers sonnets, ça passait – certes, le côté Muse idéalisée je n’étais pas fan au départ, mais bon, c’est la poésie amoureuse du XVIè siècle, et ça ne peut pas être si terrible. Et puis, j’arrive au sonnet 20, et je me frotte les yeux, je relis trois fois, je regarde les notes, mais non, c’est bien ça:
Je voudroi bien richement jaunissant
En pluïe d’or goute à goute descendre
Dans le beau sein de ma belle Cassandre,
Lors qu’en ses yeus le somme va glissant.Je voudroi bien en toreau blandissant
Me transformer pour finement la prendre,
Quand elle va par l’herbe la plus tendre
Seule à l’escart mile fleurs ravissant.Je voudroi bien affin d’aiser ma peine,
Estre un Narcisse, et elle une fontaine,
Pour m’i plonger une nuit à séjour ;Et voudroi bien que cette nuit encore
Durât tousjours sans que jamais l’Aurore
D’un front nouveau nous rallumât le jour.
Je vous rassure tout de suite, on est dans le fantasme, dans la pensée du poète qui divague un peu, qui s’laisse aller quoi…
Tous les commentateurs insistent sur la volupté et la sensualité à l’œuvre dans ce poème, par exemple un commentaire dans La Revue des deux mondes en 1904 qui parle de « l’admirable et voluptueux sonnet ». Moi je fais la grimace à chaque fois que je le relis, et pendant tout le commentaire fait en classe parce qu’il se trouve qu’on peut vraiment dire des choses intéressantes sur ce sonnet pendant une heure sans prononcer le mot « viol » (heureusement d’ailleurs)… Par ailleurs, c’est un poème abondamment étudié dans le secondaire.
La question est ponctuellement abordée par quelques critiques (j’en rends compte dans la limite d’une recherche Google). Christine Pigné, dans De la fantaisie chez Ronsard, semble voir le problème, mais pour le régler en quelques mots: « La pénétration n’est pas ici de l’ordre du viol; elle concerne l’entrée de l’image entière de l’amant dans le corps de la Dame » (ah tout va bien alors). John McClelland, dans une article, « Lieu commun et poésie à la Renaissance », explique très justement que si la « sournoiserie » et le « viol » apparaissent dans les deux premiers quatrains, ils sont remplacés dans la pointe du sonnet par une participation suggérée de l’amante à l’union, avec le souhait poursuivre la nuit « sans que jamais l’Aurore … nous r’allumât le jour » (ce qui correspond d’ailleurs au scénario de non-consentement féminin le plus répandu dans la culture occidentale). En revanche, une autre chercheuse, Alice Vintenon, parle directement de viol, et même d’un sens littéral particulièrement scabreux, en soulignant l’importance du commentaire de Muret.
Le commentaire de Muret est en effet particulièrement clair (Ronsard accompagne l’édition de 1553 des commentaires d’un de ses amis, sous chaque poème. Ces commentaires ont pour but d’expliciter des allusions, de donner le sens de telle image, etc. souvent en renvoyant ou en racontant les fables mythologiques):
« Le sens est, qu’il voudrait bien obtenir la jouissance de sa dame, en quelque façon que ce fût. Mais il enrichit cela de fables poétiques (…) »
Le sens de ce poème est que Ronsard voudrait coucher avec Cassandre, y compris grâce à l’usage de la force, contrainte, menace ou surprise: ici, la surprise pour Danaé, la force et apparemment la ruse (« finement ») pour Europe.
Bien sûr, on dit d’abord l’intensité du désir par le souhait de métamorphose – c’est tout l’enjeu du poème – mais le but de la métamorphose, dans les deux premiers quatrains, est bien d’obtenir une relation sexuelle par le viol.
Le poète en « nice guy »: il y a viol et viol…
Ce qui est intéressant pour l’interprétation de ces deux quatrains, c’est qu’un autre sonnet de Ronsard évoque, cette fois volontairement, la question du viol. Dans le sonnet 100, en effet, Ronsard refuse de suivre le chemin d’Ajax, qui a tenté de violer Cassandre (celle de Troie). Plus exactement, c’est Ajax qui lui conseille de ne pas le faire, parce qu’après on se prend la vengeance des dieux dans la gueule, et ça fait mal.

Ajax et Cassandre, Johann Tischbein
En fait, la faute d’Ajax n’est pas seulement d’avoir violé Cassandre, mais de l’avoir violée alors qu’elle s’était réfugiée dans le temple d’Athéna, se plaçant sous la protection de la déesse en s’accrochant à sa statue. Donc le viol de Cassandre est aussi un acte sacrilège envers Athéna et là, ça ne va plus du tout.
Apres ton cours je ne haste mes pas
Pour te souiller d’une amour deshonneste :
Demeure donq. Le Locrois m’amonneste
Aux bors Gyrés, de ne te forcer pas.Neptune oiant ses blasphemes d’abas,
Luy accabla son impudique teste
D’un grand rocher au fort de la tempeste.
Le ciel conduit le meschant au trespas.Il te voulut le meschant violer,
Lors que la peur te faisoit acoller
Les piés vangeurs de sa Greque Minerve :Et je ne veus qu’à ton autel offrir
Mon chaste cœur, s’il te plaist de souffrir
Qu’en l’immolant de victime il te serve.
Comment est-ce que le poète peut refuser le viol dans un sonnet et en faire le souhait dans un autre? Certes, il y a d’autres contradictions dans les Amours (la femme aimée a notamment une sacrée tendance à changer de couleur de cheveux), mais là, on est dans ce qui semble être le cœur du recueil: la construction d’un certain modèle amoureux et poétique, celui de l’amoureux éconduit qui dit sa souffrance et son dévouement total à la femme aimée, bien qu’elle le rejette.
Pour moi, cette image traduit assez bien la posture paradoxale du poète à l’égard du viol dans les Amours:
Je pense qu’en réalité, il n’y a pas de contradiction: un viol particulièrement violent sert de repoussoir, tandis qu’un autre modèle érotise le viol comme le lieu d’une victoire du désir du poète (si puissant qu’il le métamorphose) sur le refus de Cassandre; le désir donne le moyen de passer outre l’absence de consentement, grâce à une forme de dépossession de soi dans la métamorphose (qui chez Ronsard est intimement liée au geste poétique), et non grâce à la violence brute.
Il s’agit, dans le modèle de séduction que l’on trouve dans les Amours, de « vaincre les résistances » de Cassandre avec des moyens acceptables: la métamorphose, la poésie, le sacrifice de son propre cœur. Le modèle d’adoration de la Dame va de pair avec l’idée que, si le poète est suffisamment amoureux, si son désir est suffisamment fort, cet amour et ce désir lui permettront de posséder la femme qu’il aime, malgré ses refus répétés. Pour grossir le trait, une fois la « violence » évacuée, le non-consentement n’est plus un problème: on trouve cette idée dans les Hymnes lorsque Ronsard met en parallèle la tentative d’enlèvement de Flore par Aquilon (le vent froid et violent), et son enlèvement par Zéphyr (le vent doux) qui la donne au Printemps:
Quand Aquilon voulut la mener en Scythie,
Et la ravir comme il fit Orithye,
Mais elle cria tant que la Terre y courut,
Et des mains du larron sa file secourut. […]Un jour qu’elle dansait, Zéphyre l’épia,
Et tendant ses filets, la print et la lia,
En ses rets enlacée, et jeune et toute belle,
Au Printemps la donna qui languissait pour elle.

Le Printemps, Botticelli
Il faut donc enlever avec douceur, presque sans que Flore s’en aperçoive (sinon elle crie); de la même façon, il semble plus acceptable de violer Cassandre quand elle s’endort – avec tous les jeux sur l’ambiguïté du consentement que suppose le moment de l’endormissement – plutôt que la prendre violemment quand elle s’agrippe aux pieds de la statue d’Athéna.
On retrouve la confusion souvent soulignée par les féministes entre la séduction qui consiste à susciter le désir de l’autre en lui laissant l’entière liberté de ne pas être séduite, et de demeurer indifférente, et une conception de la séduction (que l’on trouve aussi bien chez Ovide que dans les conseils des pick-up artists) qui consiste à trouver des moyens de se passer du consentement de l’autre, mais avec l’idée latente qu’il s’agit toujours en fait toujours de susciter son désir. En d’autres termes, il s’agit à la fois d’une érotisation du non-consentement et de l’idée que le non-consentement se transforme en consentement si l’on sait s’y prendre: si l’on parvient à se transformer en taureau ou en pluie d’or par exemple, pour pénétrer Cassandre presque sans qu’elle en ait conscience.
Mythologie, métamorphoses et représentations du viol
La métamorphose comme ruse, sans consentement ni (trop de) violence
Dans la fable mythologique de l’enlèvement d’Europe, celle-ci est clairement enlevée contre son gré (dans toute les versions que j’ai pu lire du moins): la ruse consiste à utiliser la métamorphose pour ne pas l’effrayer, avant de l’enlever. Par exemple, dans la version de référence pour Ronsard et pour la Renaissance, en général, celle des Métamorphoses d’Ovide, on lit:
« Le père et le souverain des dieux renonce à la gravité du sceptre; et celui dont un triple foudre arme la main, celui qui d’un mouvement de sa tête ébranle l’univers, prend la forme d’un taureau, se mêle aux troupeaux d’Agénor, et promène sur l’herbe fleurie l’orgueil de sa beauté. […] La fille d’Agénor l’admire. Il est si beau ! Il ne respire point les combats. Mais, malgré sa douceur, elle n’ose d’abord le toucher. Bientôt rassurée, elle s’approche et lui présente des fleurs. Le dieu jouit; il baise ses mains, et retient avec peine les transports dont il est enflammé.
Tantôt il joue et bondit sur l’émail des prairies; tantôt il se couche sur un sable doré, qui relève de son corps la blancheur éblouissante. Cependant Europe moins timide, porte sur sa poitrine une main douce et caressante. Elle pare ses cornes de guirlandes de fleurs. Ignorant que c’est un dieu, que c’est un amant qu’elle flatte, elle ose enfin se placer sur son dos.
Alors le dieu s’éloignant doucement de la terre, et se rapprochant des bords de la mer, bat d’un pied lent et trompeur la première onde du rivage; et bientôt, fendant les flots azurés, il emporte sa proie sur le vaste océan. Europe tremblante regarde le rivage qui fuit; elle attache une main aux cornes du taureau; elle appuie l’autre sur son dos; et sa robe légère flotte abandonnée à l’haleine des vents. »
(Ovide, Les Métamorphoses, Livre II, v. 833-875, traduction de G.-T. Villenave, Paris, 1806)
Le sonnet 20 souligne bien qu’il s’agit d’une ruse, avec l’adverbe « finement », qui ne laisse pas de doute sur le non-consentement de Cassandre.
L’imaginaire des métamorphoses dans la mythologie gréco-latine est bien sûr complexe, riche et très divers. Mais on retrouve dans une partie des récits l’usage de la métamorphose comme un instrument de ruse, qui n’est pas assimilée au viol, mais qui se présente pourtant comme un moyen d’obtenir un rapport sexuel non-consenti: un entre-deux qui distingue bien viol (par la force) et tromperie (par la ruse). Par exemple, dans le récit de Zeus déguisé en Amphitryon:
« Ne voulant point contraindre Alcmène par la force, et désespérant de vaincre sa vertu par la persuasion, il eut recours à la ruse : il prit la forme d’Amphytrion, et la trompa sous ce masque. » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 9, 2)
Ce type de schéma narratif dans les contes, nouvelles ou récits érotiques est très répandu. Il est omniprésent dans les nouvelles du XVIè siècle par exemple, ou dans les Contes de La Fontaine. La conversation sur Dom Juan qui nous avait amené⋅e⋅s à écrire une série de trois billets sur la question du viol s’était achevée sur le refus de la seiziémiste avec laquelle nous discutions d’admettre que Dom Juan prenant la place d’un amant attendu auprès d’une femme (c’est le cas dans la pièce de Tirso de Molina) commettait un viol. Notre interlocutrice avançait que la femme était dans ce cas consentante, puisqu’elle pensait qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre.
Récemment, je me suis replongée dans mon petit dictionnaire de mythologie que je dévorais quand j’étais petite, pour voir la façon dont on parlait des différentes « aventures de Zeus ». En effet, on résume ainsi le tempérament de Zeus:
« Mais ce maître des dieux était également un grand amoureux. Non content d’avoir épousé plusieurs femmes, il connut de multiples aventures, tant avec des déesses et des nymphes qu’avec des mortelles. »
Que faut-il entendre par ces « multiples aventures »? Florilège:
« Zeus avait envie d’épouser la Titanide Métis. Malheureusement, chaque fois qu’il s’approchait d’elle, Métis se métamorphosait pour lui échapper. Un jour, elle se transforma en mouche. »
« Amphitryon était marié à une femme d’une grande beauté, Alcmène. Un jour, il dut partir à la guerre. Zeus, qui était amoureux d’Alcmène, profita de l’occasion. Il prit les traits d’Amphitryon et sa place dans le lit de sa femme. »
« Léto fut aimée de Zeus qui, pour s’unir à elle, eut recours à une ruse: il la métamorphosa en caille après avoir pris lui-même la forme de cet oiseau ».
D’une version à l’autre (il n’y a pas de « vrai récit » absolu mais un ensemble de textes qui fonctionnent en réseau), les relations peuvent être consenties ou non-consenties. Ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse – j’observe simplement que, dans un texte antique comme dans une adaptation contemporaine pour de jeunes lecteurs, le fait d’user d’un moyen pour se passer du consentement d’une femme est présenté comme le résultat d’un sentiment amoureux (d’autres reformulations qualifient Zeus de « dragueur » ou de « grand séducteur ») et d’une forme de pragmatisme légitime. Dans la plupart des cas, la relation n’est pas qualifiée de viol, mais au contraire exploitée comme une jolie histoire, souvent grâce à une série d’euphémismes (de type « X fut séduite par Zeus qui pour s’unir à elle… »). Le fait qu’on passe, pour un même mythe, d’une version à l’autre, du récit d’un viol au récit d’une relation consentie me semble justement très significatif de cette confusion.
Chez Ovide, la plupart des récits de métamorphoses de Zeus et de Neptune sont mis en série dans la description de la tapisserie d’Arachné. En général, ils sont peu développés – on convoque donc des récits plus longs, qui peuvent indiquer par exemple que telle femme tentait d’échapper au dieu, mais seuls les cris d’Europe sont mentionnés. En revanche, la plupart des verbes comportent un sème de tromperie (« elusam », « luserit », « fallis »). Ce n’est pas parfaitement clair: s’agit-il d’un simple déguisement qui permet au dieu de dissimuler son identité divine ou d’une ruse, d’un abus qui permet d’obtenir un rapport sexuel qui a été ou serait refusé dans le cas contraire? Les choix de traduction sont alors particulièrement importants (traduire « fallis » par « tu trompes » ou « tu abuses » fait en général entendre deux choses très différentes exemple). Dans la traduction disponible en ligne d’Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet (2005-2009):
La Méonienne représente, trompée par l’image d’un taureau, Europe : on aurait dit un vrai taureau et de vrais flots. La jeune fille avait l’air de regarder les terres qu’elle quittait, d’appeler à grands cris ses compagnes et de redouter le contact de l’eau qui l’assaillait, car elle relevait peureusement les pieds.
Elle représenta aussi Astérié dans les serres d’un aigle impétueux, elle représenta Léda couchée sous les ailes d’un cygne. Elle ajouta une scène montrant, sous les traits d’un satyre, Jupiter engrossant de jumeaux la belle Nyctéide, et comment il devint Amphitryon, lorsqu’il te séduisit, reine de Tirynthe, comment il abusa, mué en or, de Danaé, mué en flamme, de l’Asopide en berger de Mnémosyne, en serpent tacheté, de la fille de Déo.
Toi aussi, Neptune, elle te plaça, transformé en jeune taureau sur la fille d’Éole. Sous les traits d’Énipée, tu engendres les Aloïdes ; en bélier, tu abuses la fille de Bisaltès.
Prenons le cas de Léda. Dans la plupart des versions du mythe, il n’y a pas de mention du non-consentement de Léda. Mais dans les Odes de Ronsard, pour le poème De la défloration de Lède, dédié à Cassandre (!), la violence du viol devient explicite:
Luy, qui fut si gracieux,
Voyant son heure opportune,
Devint plus audacieux,
Prenant au poil la fortune.
De son col comme ondes long
Le sein de la vierge touche,
Et son bec luy mit adonc
Dedans sa vermeille bouche.Il va ses ergots dressant
Sur les bras d’elle qu’il serre,
Et de son ventre pressant
Contraint la rebelle à terre.
Sous l’oiseau se debat fort,
Le pince et le mord, si est-ce
Qu’au milieu de tel effort
Ell’ sent ravir sa jeunesse.Le cinabre çà et là
Couloura la vergongneuse.
A la fin elle parla
D’une bouche desdaigneuse :
« D’où es-tu, trompeur volant ?
D’où viens-tu, qui as l’audace
D’aller ainsi violant
Les filles de noble race ?« Je cuidois ton cœur, helas !
Semblable à l’habit qu’il porte,
Mais (hè pauvrette ! ) tu l’as,
A mon dam, d’une autre sorte.
O ciel ! qui mes cris entens,
Morte puissé-je estre enclose
Là bas, puis que mon printemps
Est despouillé de sa rose !
Mais cette violence est atténuée par le consentement final à porter les enfants de Jupiter (donné après le viol et la défloration donc…): Léda s’indigne d’avoir été violée par un inférieur, mais consent lorsque Zeus révèle son identité et sa future descendance (à mon avis, le récit fait écho de façon évidente pour un lecteur de l’époque à l’Annonciation, ce qui accentue le malaise…).
« Vierge, dit-il, je ne suis
Ce qu’à me voir il te semble ;
Plus grande chose je puis
Qu’un cygne à qui je ressemble :
Je suis le maistre des cieux,
Je suis celuy qui desserre
Le tonnerre audacieux
Sur les durs flancs de la terre.« La contraignante douleur
Du tien, plus chaud, qui m’allume,
M’a fait prendre la couleur
De ceste non mienne plume.
Ne te va donc obstinant
Contre l’heur de ta fortune :
Tu seras incontinant
La belle-sœur de Neptune,[…] A ces mots, elle consent,
Recevant telle avanture,
Et jà de peu à peu sent
Haute eslever sa ceinture

Léda et le Cygne, Rubens
La pluie d’or de Danaé: le consentement comme élément secondaire et variable de la fable
Pour Danaé, c’est un peu plus compliqué: la fable ne donne en fait aucun indice sur son consentement ou non. L’obstacle qui rend nécessaire la métamorphose n’est pas son absence de consentement, mais son père qui l’a enfermée dans une tour parce qu’on lui a prédit que son petit-fils le tuerait (d’une femme à l’autre, Jupiter se métamorphose soit parce qu’on le refuse, soit pour tromper la surveillance d’un mari, d’un père, ou de sa propre femme Héra – l’important est d’avoir un obstacle qui motive la métamorphose).
Ce qui intéresse ceux qui racontent ce récit, en fait, c’est d’abord la richesse visuelle de la métamorphose: le récit de Danaé est très peu développé par écrit, mais il donne lieu à une très grande production picturale. C’est dans ces représentations et reprises du récit que l’interprétation se tisse – la difficulté est que ces interprétations, même sans être reprises par Ronsard, sont toujours dans une certaine mesure présentes lorsqu’il fait référence à la pluie d’or.
On a notamment un grand nombre de tableaux qui rapprochent le rapport entre Jupiter et Danaé d’un rapport tarifé, soit en représentant Danaé seule saisissant les pièces d’or, soit en introduisant une servante qui prend plus ou moins les traits d’une mère maquerelle en fonction des versions. Danaé est parfois représentée endormie, parfois consciente, parfois encore les yeux fermés mais dans un état qui évoque l’extase.
Ronsard fait le choix d’insister sur le sommeil de Danaé (plus exactement le moment de l’endormissement). La métamorphose est associée à une forme de douceur extrême (« goute à goute descendre ») qui lui permet de se passer du consentement de Cassandre endormie.
Digression sur le sommeil féminin: de la vulnérabilité à l’érotisation du non-consentement
Je reviens à la question du sommeil dans le sonnet 20 (« Lorsqu’en ses yeus le somme va glissant »): on évoque un moment d’endormissement propice à l’intrusion de la pluie d’or. On a une idée de progression du sommeil et il me semble que le viol est censé l’accompagner et non provoquer le réveil dans ce cas. De surcroît, le poème s’achève par le refus de l’arrivée d’Aurore, ce qui permet de circonscrire toute la durée de la nuit (autrement dit, le temps du sommeil de Danaé, à moins qu’il ne s’agit de la durée du sommeil du poète lui-même – j’y reviendrai). L’érotisme de l’image s’appuie sur l’extension de la durée, sur un ralentissement de l’action (le « goute à goute », l’endormissement progressif), mais le sommeil lui-même est un élément d’érotisation de la scène: le temps est suspendu parce que Cassandre ne fait que s’endormir.
La vulnérabilité de Cassandre est indissociable de la métamorphose du poète. Habituellement, Cassandre règne et rejette; ici, elle se laisse faire, ou plutôt ne s’aperçoit de rien (il y a bien une ambiguïté sur la conscience qu’a Cassandre de l’irruption du poète en pluie d’or, mais l’ambiguïté est à mon avis levée par le rapprochement proposé avec l’enlèvement d’Europe: encore une fois, il n’y a métamorphose que parce qu’il y a refus de la part de la femme aimée).
Cette érotisation du sommeil et en particulier du non-consentement pour des gestes sexuels sur une personne endormie n’est pas du tout isolée dans la littérature ou dans la culture érotique.
Même sans dimension érotique, le fait de regarder son/sa partenaire dormir est en général considéré comme une attitude romantique. C’est par exemple le cas d’Edward Cullen dans la saga Twilight qui regarde Bella dormir sans qu’elle le sache (d’une manière générale, il ne dort pas parce que c’est un vampire, spoiler). Je ne résiste pas au plaisir de mettre ici quelques détournements qui remettent les pendules à l’heure (d’une façon générale, un grand nombre de femmes ont analysé la façon dont Twilight valorise et érotise une relation abusive sous couvert de romantisme):
Mais on trouve également ce motif dans une autre saga (un peu plus longue), A la Recherche du Temps perdu, dans le tome La Prisonnière, où le narrateur (qui n’est pas un vampire, mais seulement insomniaque), dans l’un des passages les plus célèbres, regarde sa compagne Albertine dormir:
« Sa respiration, peu à peu plus profonde, soulevait maintenant régulièrement sa poitrine et, par–dessus elle, ses mains croisées, ses perles, déplacées d’une manière différente par le même mouvement, comme ces barques, ces chaînes d’amarre que fait osciller le mouvement du flot. Alors, sentant que son sommeil était dans son plein, que je ne me heurterais pas à des écueils de conscience recouverts maintenant par la pleine mer du sommeil profond, délibérément, je sautais sans bruit sur le lit, je me couchais au long d’elle, je prenais sa taille d’un de mes bras, je posais mes lèvres sur sa joue et sur son cœur ; puis, sur toutes les parties de son corps, posais ma seule main restée libre et qui était soulevée aussi, comme les perles, par la respiration d’Albertine ; moi–même, j’étais déplacé légèrement par son mouvement régulier : je m’étais embarqué sur le sommeil d’Albertine. Parfois, il me faisait goûter un plaisir moins pur. Je n’avais pour cela besoin de nul mouvement, je faisais pendre ma jambe contre la sienne, comme une rame qu’on laisse traîner et à laquelle on imprime de temps à autre une oscillation légère, pareille au battement intermittent de l’aile qu’ont les oiseaux qui dorment en l’air. Je choisissais pour la regarder cette face de son visage qu’on ne voyait jamais, et qui était si belle. »

Extrait de l’adaptation de Nina Companeez
Quand je dis que c’est un des passages les plus célèbres, je n’exagère pas: presque tou⋅te⋅s les lecteurs/trices se souviennent de ce petit paragraphe. Certes, ce n’est pas le seul passage ultra-célèbre chez Proust, mais la fascination qu’il suscite interpelle. Roland Petit en fait le point culminant de son ballet La Prisonnière par exemple.
En fait le passage sur le sommeil d’Albertine est un peu plus long mais je n’ai gardé que le passage qui le rend vraiment problématique. C’est un texte magnifique par ailleurs, comme souvent chez Proust, mais à la limite… justement.
La Prisonnière décrit une relation abusive, dans laquelle le narrateur fait de la jalousie la figure de sa relation au monde – l’insatisfaction est permanente, aussi bien le plan amoureux qu’artistique, puisque la présence de l’expérience artistique ou de la femme qu’il aime est insuffisante et insatisfaisante; pour résumer à gros traits, le narrateur s’ennuie ou bien est distrait quand il est avec Albertine, et son désir renaît quand il en est éloigné parce qu’il est jaloux et inquiet de ce qu’elle peut faire sans lui. Le sommeil d’Albertine s’inscrit très clairement dans cette relation possessive (ce n’est pas un jugement de ma part, le narrateur le dit explicitement): il efface tous les « écueils de conscience » qui éloignent Albertine du narrateur quand ils sont ensemble.
Une amie qui avait préparé ce texte pour une étude orale en cours de khâgne me racontait qu’elle avait insisté sur l’agression sexuelle (attouchements et masturbation) décrite dans ce texte, voire sur le viol, et qu’elle s’était heurtée à des commentaires avançant que Proust rendait Albertine consentante grâce à l’écriture qui met son corps en mouvement.
Dans le genre complaisant, on peut citer la paraphrase de Raphaël Enthoven dans Matière Première, où on peut le voir se masturber sur le texte dans lequel Marcel se masturbe sur Albertine:
« Quand le narrateur d’A la recherche du temps perdu, penché sur Albertine endormie, contemple les fantômes de son visage et l’être nouveau qu’elle devient chaque fois qu’elle remue la tête, quand, bouleversé par le mouvement du flot qu’il perçoit à chacune de ses inspirations, il s' »embarque » littéralement sur son sommeil, la rejoint sur le lit, pose ses lèvres sur son cœur et parcourt d’une main libre toutes les parties de son corps, l’idée de la connaître en vérité cesse pour une fois de le hanter. Alors, c’est le répit du cœur. [Il] l’aime enfin d’un amour calme et désintéressé. […] L’amour a endormi la curiosité. Demeure la présence muette, vivante et chaude, d’une liberté qu’il chérit en silence. »
Le sommeil féminin dans l’art ou la littérature est à mon avis lié à l’idée de vulnérabilité (l’impuissance étant un élément essentiel de la féminité occidentale): une femme endormie est désirable – en général, les femmes endormies sont aussi nues dans les représentations picturales.
Au contraire, un homme endormi, ce n’est jamais un très bon signe: à l’exception des sommeils mystiques (Jacob ou Elie par exemple), les hommes endormis le sont alors qu’ils ne devraient pas l’être (apôtres au mont des Oliviers, Samson qui se fait couper les cheveux, Adam qui ne surveille plus Ève, soldats endormis, divers ivrognes); les femmes endormies, elles, semblent dans leur état naturel (c’est-à-dire belles, nues, offertes). Voir un homme endormi est perçu comme une transgression, dans le conte d’Éros et Psyché par exemple: Psyché transgresse l’interdiction de son mari de voir son visage, et le perd – elle tombe ensuite dans un profond sommeil, et c’est Éros qui la réveille: retour à l’ordre.

Psyché et l’Amour endormi, Rubens
Si vous entrez « femme endormie » en recherche Google, la moitié des résultats seront des sites pornographiques. On remarque une grande complaisance dans le traitement médiatique des viols où l’agresseur profite du sommeil de la victime (souvent des viols conjugaux). Il y a globalement une érotisation du sommeil de la partenaire dans beaucoup de forums ou sites « sexo », par exemple l’article « La belle endormie », décrite comme une position sexuelle du Kamasutra sur doctissimo: le texte (presque une réécriture de Proust…) s’appuie sur l’oscillation entre consentement et non-consentement:
« C’est le moment de pénétrer la belle. […] Peut-être dort-elle encore ? Ou plutôt, encore engourdie de sommeil, simule-t-elle l’endormissement afin de jouir davantage de la situation ? […] Mais peut-être que, sous l’effet des caresses, l’amante s’est tout-à-fait réveillée ? Son sommeil interrompu la prédispose à un plaisir plus violent. »
On peut enfin mentionner la présence du sommeil dans plusieurs contes célèbres. Pour retracer brièvement l’histoire de ce motif dans La Belle au bois dormant et Blanche-Neige, on trouve l’idée d’un geste sexuel imposé dans la version de Basile, puisque la Belle au bois dormant se réveille lorsque son deuxième enfant tête, ce qui suppose un viol. Cette version est atténuée par Grimm qui ne garde qu’un baiser, tandis que la version de Perrault (antérieure à celle de Grimm donc) supprime complètement le motif: le Prince est juste là au moment où l’héroïne devait de toute façon se réveiller. Il est probable que Perrault modifie cet aspect (parmi d’autres) le conte de Basile pour des raisons morales.
En revanche, le motif est étendu à Blanche-neige par la version Disney du conte (alors que chez Grimm, elle recrache la pomme empoisonnée en étant déplacée – vous suivez toujours?), et conservé pour l’adaptation de La Belle au bois dormant.

Snow White and the Seven Dwarfs, Walt Disney
Dans des reprises cinématographiques récentes comme Enchanted ou Maleficent, le motif du « true love’s kiss » est en général détourné, mais il n’est jamais interrogé sur le plan du consentement.
Enfin, Pedro Almodovar fait directement référence à La Belle au bois dormant dans son film Parle avec elle qui évoque le viol d’une femme dans le coma, qui se réveille en raison de la grossesse qui en résulte. La représentation du viol est d’ailleurs remplacée par l’insertion d’un court-métrage à la fois érotique et humoristique, L’amant qui rétrécit, dans lequel un scientifique rétrécit et finit par pénétrer sa compagne alors qu’elle est endormie, provoquant un orgasme. On retrouve ainsi la métamorphose, qui permet ici de pénétrer la femme endormie sans entraîner le réveil.

images du court-métrage « L’amant qui rétrécit » dans Parle avec elle de Pedro Almodovar
Que faire du fantasme?
Je vais me répéter mais c’est important: déjà, qu’il s’agisse de fantasme, rêves, réalités, cauchemars, récits, projections, hallucinations, désirs ou actes réels, l’enjeu est de mettre les bons mots sur les bonnes choses, pour commencer. Si je dis « Ronsard parle de viol », ça n’a pas de sens de répondre « Mais non enfin, c’est un fantasme »: on peut tout à fait parler de fantasme de viol pour mettre tout le monde d’accord, et bien dissocier cela d’un acte réel (ou réel dans la fiction – enfin, on se comprend).
Or dans notre poème, on fait bien l’hypothèse d’une métamorphose qui permet de ne pas accepter les refus de Cassandre, c’est-à-dire de la violer. Le viol est présenté comme quelque chose de désirable, et comme un moment de jouissance ou de bonheur qu’il s’agit de prolonger en refusant l’arrivée d’Aurore. Il s’agit moins d’un fantasme que d’un souhait (« Je voudroi »).
Cette spécificité du sonnet 20 apparaît mieux si on le compare aux autres sonnets des Amours dans lesquels, tout à coup, Cassandre est très attirée par le poète et recherche une proximité de nature amoureuse ou sexuelle. Il y a deux cas de figure: soit soudain une figure féminine aime le poète et on ne sait pas très bien pourquoi (dans une des chansons par exemple, la dame fait plein de bisous au poète, et il semblerait que ce soit Cassandre, mais on peut avoir quelques doutes); soit il s’agit bien de Cassandre, mais la scène est replacée dans le cadre du songe – on décrit un univers onirique dans lequel Cassandre aimerait le poète et initierait elle-même une étreinte. Dans ce cas, il s’agit de fantasmer une Cassandre consentante, et non de fantasmer une transformation qui serve de solution aux refus de Cassandre. Par exemple, dans le sonnet 186:
Il faisait chaud, et le somme coulant
Se distillait dans mon âme songearde
Quand l’incertain d’une idole gaillarde
Fut doucement mon dormir affolant.Penchant sous moi son bel ivoire blanc,
Et mi-tirant sa langue fretillarde,
Me baisotait d’une lèvre mignarde,
Bouche sur bouche & le flanc sur le flanc.Que de corail, que de lis, que de roses
Ce me semblait, à pleines mains décloses,
Tâtai-je lors entre deux maniments?Mon dieu, mon dieu, de quelle douce haleine,
De quelle odeur était sa bouche pleine,
De quels rubis, & de quels diamants?
Certes, il y a une continuité entre le songe et l’univers onirique des métamorphoses, mais le rapport au consentement de la femme aimée n’est pas du tout le même: on a bien d’un côté un fantasme de viol et de l’autre un fantasme d’union consentie.
Conclusion
Avant de conclure, il me semble important de poser le problème de l’enseignement de ces textes. Il me semble qu’une prise de conscience des enseignant⋅e⋅s de la violence qui se trouve sous l’élaboration littéraire, poétique et érotique, est nécessaire. Ne pas poser d’emblée le mot « viol » dans le cadre d’une étude de texte peut être extrêmement violent pour certain⋅e⋅s élèves, en particulier pour les victimes de violences sexuelles, mais pas seulement. Maintenir l’érotisation d’une scène de viol dans le cadre d’une étude de texte place certain⋅e⋅s élèves dans une situation d’insécurité qui les exclut de l’intérêt littéraire (que je ne veux pas minorer) que présentent ces textes, comme en témoigne ce texte qui décrit un cours sur Ovide:
« During the week spent on Ovid’s “Metamorphoses,” the class was instructed to read the myths of Persephone and Daphne, both of which include vivid depictions of rape and sexual assault. As a survivor of sexual assault, the student described being triggered while reading such detailed accounts of rape throughout the work. However, the student said her professor focused on the beauty of the language and the splendor of the imagery when lecturing on the text. As a result, the student completely disengaged from the class discussion as a means of self-preservation. She did not feel safe in the class. When she approached her professor after class, the student said she was essentially dismissed, and her concerns were ignored. »
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« Au cours de la semaine consacrée aux Métamorphoses d’Ovide, il a été demandé aux élèves de lire les mythes de Perséphone et de Daphné, qui contiennent tous deux des représentations détaillées de viols et d’agressions sexuelles. Une élève, survivante d’agression sexuelle, a expliqué que la lecture de descriptions détaillées de viols dans l’oeuvre avait déclenché chez elle un stress post-traumatique. Pourtant, l’enseignant⋅e, rapporte-t-elle, a concentré son étude du texte sur la beauté du langage et la richesse des images. Par conséquent, l’élève s’est complètement mise à l’écart des échanges en classe afin de se protéger. Elle ne se sentait pas en sécurité en cours. Elle rapporte qu’elle n’a pas été prise au sérieux quand elle s’est adressée à l’enseignant⋅e après le cours, et que celle-ci a ignoré ses préoccupations. »
Il est donc indispensable que les enseignant⋅e⋅s posent d’emblée un cadre bienveillant en posant une distance entre leur propre discours et celui du texte.
Je reprends la question initiale: « Si nos élèves avaient l’occasion de réapprendre par cœur un peu de notre poésie française, lire des œuvres de Ronsard comment pourraient-ils encore maltraiter une jeune fille ? ».
J’ai essayé de montrer que précisément, de nombreuses oeuvres centrales dans la tradition poétique amoureuse et dans la construction d’une culture érotique (Ovide, Ronsard…) érotisent des viols décrits comme des actes de séduction, comme des « ruses » habiles ou des approches en douceur plutôt que des rapports non-consentis, et remplacent la violence attachée au viol dans les représentations communes du viol (alors que la moitié des viols sont commis sans violence) par des subterfuges assimilés à des techniques de séduction – fussent-elles parfaitement fantaisistes dans le cas des métamorphoses.
Ainsi plusieurs poèmes de Ronsard et les textes mythologiques avec lesquels ils fonctionnent en réseau transmettent des scénarios amoureux qui reposent sur une violence conçue comme inhérente au désir et à l’amour, et in fine, sur l’inscription du viol au cœur des relations amoureuses. Cela ne veut pas dire que ces scénarios vont être reproduits à l’identique par toute personne qui apprendrait un poème par coeur, heureusement, mais penser qu’on a là une poésie qui enseigne le respect des femmes témoigne soit d’une méconnaissance de la culture poétique française, soit d’une méconnaissance de la réalité des violences sexuelles.
2 réflexions sur “Petit guide littéraire et mythologique pour violer mais pas trop violemment”